Friday, October 14, 2005

Avoir vingt ans et chercher son destin dans les astres

Courrier international - n° 780 - 13 oct. 2005
Asie
CHINE - Avoir vingt ans et chercher son destin dans les astres
Dans les métropoles chinoises en plein boom, il est très tendance de se tourner vers la divination, de préférence occidentale. Les jeunes consultent leur horoscope sur le Net.


Ceux que l’on appelle les “djinns des villes” vivent en milieu urbain, pour des raisons professionnelles ou pour suivre des études universitaires, et se situent en majorité dans la tranche d’âge des 18–30 ans. Ils ont reçu une éducation athée conforme à l’orthodoxie, mais s’intéressent malgré tout beaucoup à des pratiques divinatoires ésotériques comme les prédictions à partir du signe zodiacal, du groupe sanguin, des cartes de tarot ou du “spiritisme au pinceau”. Ils savent très bien ce que recouvre le terme de “superstition” et ne veulent surtout pas tomber dedans. Leur manière d’être est celle de jeunes citadins à la page.
Aucun rapport, donc, avec les devins traditionnels, diseurs de bonne fortune brandissant la menace d’esprits diaboliques. Ces jeunes djinns des villes jouent un rôle de premier plan comme introducteurs de nouvelles modes culturelles en milieu urbain.
Qiao Min est tout juste diplômée de l’Université chinoise du peuple, où elle a obtenu une maîtrise en juillet dernier. Aujourd’hui, elle dispose d’un poste stable, mais, il y a six mois, elle passait ses journées à se tourmenter à ce sujet. “Comme je voulais un emploi à la fois bien rémunéré et qui me permettrait d’obtenir un permis de résidence définitif à Pékin, j’ai mis du temps à trouver un travail”, explique-t-elle.
C’est ainsi que Qiao Min s’est rendue le 30 avril au Wofo Si [temple du Bouddha couché], situé à l’intérieur du jardin botanique des Collines parfumées, dans l’ouest de Pékin, avec une camarade de chambre également angoissée par la recherche d’un emploi. “La prononciation du terme wofo faisant penser à celle du mot anglais offer [offre], on raconte que faire un vœu devant ce Bouddha est particulièrement efficace pour trouver un travail”, dit Qiao Min en ajoutant que de nombreuses camarades de sa promotion s’y étaient déjà rendues.
Arrivées au jardin botanique, son amie et elle n’étaient pas allées directement au temple du Bouddha couché, mais avaient d’abord déambulé un bon moment dans le parc, où elles avaient même acheté deux poupées de paille. “En fait, avec le recul, je me rends compte que notre but principal était de nous détendre, car nous étions vraiment épuisées par la recherche d’un emploi, qui occupait toutes nos journées.” Après s’être bien amusées dans le parc, elles s’étaient enfin rendues au temple. Sur une tablette de vœux, Qiao Min avait écrit : “Je voudrais trouver un travail satisfaisant”, puis, le cœur léger, elle avait regagné ses pénates. Qiao Min affirme avoir agi ainsi sans vraiment croire que son vœu serait exaucé. “Bien sûr, si cela marchait, c’était tant mieux !”
“En fait, la plupart du temps, les jeunes ne prennent pas vraiment au sérieux ce genre de pratique, qu’ils considèrent surtout comme un jeu et une façon de se divertir”, dit Sun Shijin, directeur du Centre de recherches en psychologie de l’université Fudan, à Shanghai, “La divination est une tendance de la culture urbaine. Tout le monde y goûte et, si vous n’essayez pas vous-même, vous risquez de passer pour un attardé !” ajoute Zhang Jijiao, de l’Académie des sciences sociales de Chine.

Rapidité et simplicité de l’horoscope occidental

Les sites astrologiques des principaux portails chinois enregistreraient en moyenne plus de 1 million de visiteurs par jour. Le responsable de la rubrique Horoscope chez Sohu, Li Yan, nous a indiqué que les internautes préféraient les pages faisant appel aux signes du zodiaque, aux tarots ou encore aux tests psychologiques. Ils sont moins nombreux à s’intéresser à l’astrologie chinoise traditionnelle ziwei, aux interprétations de rêves et aux modes traditionnels chinois de lecture du destin (à partir des patronymes, des huit caractères [indiquant l’année, le mois, le jour et l’heure de la naissance], de la physionomie, des lignes de la main ou du feng shui). “En effet, comparativement, l’interprétation des signes du zodiaque et des tests psychologiques est assez simple, contrairement aux formes de voyance chinoises traditionnelles et à l’astrologie ziwei, qui nécessitent de clarifier au préalable un certain nombre de points et de consulter de nombreux documents plutôt abscons”, explique Li Yan. Selon lui, en général, les personnes qui consultent leur horoscope sur Internet ne le prennent pas très au sérieux.
Le Pr Sun Shijin analyse le phénomène ainsi : la vie moderne provoque beaucoup de stress, et les gens doivent trouver des façons de l’évacuer. Dans le même esprit, des fêtes occidentales comme la Saint-Valentin et Noël ont été adoptées en Chine. L’engouement des jeunes pour la divination relève de la même démarche : jugeant les pratiques divinatoires chinoises peu amusantes, ils ont assimilé des formes de divination très répandues à l’étranger.
Dans le champ d’étude du Pr Sun Shijin, deux groupes manifestent un intérêt particulièrement vif pour les pratiques divinatoires : les étudiants d’université et les cols blancs. Ces deux groupes ont pour point commun d’être désemparés face aux choix à faire dans un proche avenir. “Les cols blancs subissent de très fortes pressions dans leur milieu professionnel. Il leur est impossible de prendre des décisions à la légère, par exemple quand ils veulent changer d’entreprise. Ils espèrent donc obtenir ainsi de l’aide pour faire le bon choix.”

Amour, destin et carrière professionnelle

Les jeunes entre 18 et 30 ans constituent la tranche d’âge qui doit compter avec le plus de variables sur le plan social. De la fin de leurs études secondaires à l’achat d’un logement, à leur mariage et à la naissance de leur enfant, ils auront de nombreux choix capitaux à faire : celui de leur spécialité universitaire, puis de leur métier, de leur entreprise et de leur compagnon de vie. Ils sont donc soumis à d’importantes pressions. Selon le site Sohu, parmi les internautes consultant leur horoscope en ligne, 95 % ont entre 18 et 35 ans, et il y a deux fois plus de femmes que d’hommes. Quant à leurs sujets de préoccupation, il s’agit par ordre d’importance de questions d’amour, de traits de caractère, d’interrogation sur leur destin, leur carrière professionnelle, leurs études, leurs chances de faire fortune, leur santé.
Selon Guo Zhengyi, de l’Institut chinois de vulgarisation scientifique, un sondage national sur les mentalités en Chine a été effectué au début des années 1990. Or, dès cette époque, les résultats obtenus l’avaient étonné : en effet, on trouvait moins de personnes croyant à la divination parmi les plus de 50 ans que parmi les moins de 30 ans. De plus, des grandes agglomérations comme Pékin et Shanghai apparaissaient aux premiers rangs. “Qu’ils y croient ou non, c’est une manière de chercher à se connaître soi-même, analyse Zhang Jijiao. Lorsqu’ils se seront fixés dans la vie, leur goût pour la divination faiblira.”
He Xiaopeng et Zhang Naiyuan
Zhongguo Xinwen Zhoukan (China Newsweek)

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