Wednesday, March 22, 2006

ASIE - Les enfants doivent réussir coûte que coûte

Courrier international - 22 mars 2006
Revue de presse

Dans les pays asiatiques, les jeunes générations des classes moyennes sont soumises à un rythme d'études et d'activités extrascolaires digne d'un marathon. Time Asia s'interroge sur le quotidien de ces enfants livrés au stress et à l'inquiétude.


"Le programme EMBA, qui commence les dimanches matin au cœur du quartier des finances à Shanghai, ressemble à n'importe quel autre cursus destiné en Chine à former les futurs hommes d'affaires", note Time Asia, avant d'expliquer qu'il s'agit d'un programme concernant des enfants en bas âge. En effet, le "E" n'est pas celui d'executive (cadre), mais d'early (précoce). "Dans cette classe, l'enfant le plus âgé a 6 ans." Et les parents sont fiers "quand leurs enfants n'ont pas peur de s'exprimer en classe ou qu'ils montrent des prédispositions pour diriger un groupe d'activités."

Ce n'est pas un fait nouveau pour les parents chinois d'attendre beaucoup de leurs enfants, poursuit l'hebdomadaire. "Mais les pressions exercées sur ceux-ci dès leur plus jeune âge s'intensifient : les parents sont de plus en plus convaincus que l'enseignement est le moteur primordial pour grimper dans les échelons de la société. Une mobilité jusque-là inimaginable en Chine." 60 % des familles chinoises vivant dans les grandes villes dépensent un tiers de leurs revenus dans l'éducation de leurs enfants. "Dans la génération précédente, peu de Chinois âgés de 6 ans savaient lire ou compter." Actuellement, un enfant de 5 ans serait capable de faire rapidement des calculs mentaux. Pourtant, les parents ne sont pas indifférents à "la charge émotionnelle et au stress qui résultent de l'accomplissement de telles performances".

En Chine, le fait que la majorité des parents n'ont qu'un seul enfant pourrait expliquer cette pression accrue pour en faire un "superenfant". Toutefois, ce phénomène est décelable dans plusieurs pays en Asie et "nombreux sont les parents aux prises avec ce dilemme : tout en étant conscients des dégâts que peuvent causer les pressions féroces imposées à leurs enfants, ils estiment que le risque vaut la peine d'être couru. Et les enfants sont sollicités pour étudier et travailler de plus en plus dur."

Time Asia cite l'exemple de Singapour, où "90 % des familles inscrivent leurs enfants à des cours particuliers. Dès l'âge de 9 ans les enfants sont répartis selon leur niveau d'aptitude, et le bourrage de crâne est considéré comme un élément essentiel pour maintenir leur niveau." La Corée du Sud n'échappe pas à cette frénésie. "Un échec dans les études suscite le dédain." Lee Don Hee, ancien ministre de l'Education, fait l'éloge des établissements d'enseignement supérieur : "Aucun étudiant n'a jamais été recalé. Nous sélectionnons les étudiants qui ont du potentiel pour devenir des dirigeants dans différents secteurs et nous les formons."

Pour Time Asia, cette caractéristique commune à différents pays asiatiques trouve ses origines dans "l'instabilité que connaît historiquement cette région. La volonté d'aller de l'avant est renforcée par le traumatisme laissé par des événements inattendus. Dans la mémoire de presque chaque Asiatique il y a des souvenirs d'une révolution, d'une famine, d'un coup d'Etat, d'une inondation, d'un massacre ou d'une évacuation faite en urgence." Ainsi, l'idée que les années scolaires constituent une période de jours heureux durant lesquels les enfants laissent libre cours à leur créativité peut paraître déplacée, voire choquante.

Par ailleurs, poursuit l'hebdomadaire, "l'importance de l'honneur familial et de la dignité personnelle, une préoccupation vivace et permanente chez les Asiatiques, renforce leurs exigences à l'égard de leurs enfants". Selon Aruna Broota, un psychologue de l'université de Delhi, en Inde, "ces familles ont besoin de dire que leur enfant est le meilleur de sa promotion, qu'il ira faire ses études à Harvard. L'enfant comprend que ce qui est le plus important, ce n'est pas tant son éducation, mais le prestige qu'il représente symboliquement pour ses parents."

"En tout cas, au-delà de ces raisons de nature socioculturelles, il faut noter que l'Asie vit actuellement une période de forte croissance. Des villages et des villes sont en train de passer de la pauvreté à la richesse en moins d'une génération. Une telle transition est suffisante pour faire des enfants des bêtes d'études", relève Time Asia. Toutefois, de plus en plus de parents s'inquiètent des conséquences pour leurs enfants du rythme de travail acharné auquel ils sont soumis presque dès leurs premiers pas.

"Au Japon, où les dépressions et les suicides sont fréquents chez les adolescents, le ministère de l'Education a mis en place une réforme des programmes d'enseignement, le yutori kyoiku (éducation relaxée). Cette nouvelle politique, communément appelée la 'baisse de 30 %', est fondée sur le principe que, au lieu de gaver les enfants avec des connaissances, il vaudrait mieux leur apprendre à s'instruire librement", signale Time Asia. Toutefois, la majorité des familles japonaises ne sont pas convaincues de l'efficacité des propositions gouvernementales et l'on assiste à une fuite massive de l'enseignement public vers les établissements privés.

Ces établissements ont un tel succès que des entreprises comme Toyota ou la Central Japan Railway sont prêtes à les sponsoriser, apprend-on dans l'Asahi Shimbun. "Pour les parents, un tel financement est en soi une garantie de la qualité de l'enseignement. Ils sont prêts à payer 3 millions de yens (plus de 20 000 euros) pour y inscrire leurs enfants." Ces écoles ont introduit un certain assouplissement dans leurs programmes, "mais cela ne veut pas dire qu'elles vont s'aligner sur le yutori kyoiku. Au contraire, il apparaît que les étudiants vont travailler encore plus dur", souligne le quotidien japonais.

Finalement, malgré la prise de conscience que l'on constate chez certaines familles et les mesures initiées par les professionnels de l'éducation pour alléger les journées d'études, la majorité des parents estiment qu'"ils n'ont pas le choix" et privilégient "la réussite de leurs enfants", conclut Time Asia. "S'il y a une réforme à faire dans le système d'enseignement en Asie, la bataille doit être livrée dans les foyers et dans le cœur des parents."


Hoda Saliby

Courrier international - 22 mars 2006




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